Contrairement à l’Europe, la population américaine et canadienne semble relativement indifférente au génie génétique. Les premières entreprises spécialisées dans les OGM commencent maintenant à chercher des façons d’améliorer la plante ancestrale thérapeutique et de culture qu’est Cannabis sativa L.
Au cours des dernières années, des rumeurs persistantes ont circulé concernant l’entrée présumée de Monsanto dans le secteur du cannabis. Cette entreprise, rachetée par Bayer en 2017, était soupçonnée de s’être secrètement procuré des graines de cannabis et des brevets pour le futur marché licite. Un examen plus approfondi des sources à l’origine de cette spéculation a rapidement révélé qu’à ce jour, Monsanto ne prévoit aucunement se lancer dans la production de cannabis.
L’industrie du cannabis a elle-même invité le secteur des OGM à s’embarquer
Si l’on compare à l’Europe, la population des E.-U. et du Canada se préoccupe peu du génie génétique. Alors que tout ce qui a trait à la manipulation des caractéristiques héréditaires suscite rapidement la critique en Europe, et pas seulement dans le milieu du chanvre, cette évolution dans le secteur du cannabis a essentiellement été considérée comme positive à l’étranger.
Déjà, une collaboration entre un producteur de cannabis de l’Etat de Washington et une ancienne entreprise sud-africaine du secteur des OGM a donné des résultats en 2014. En effet, l’entreprise Plandai Biotechnologies, qui a désormais déplacé son siège social de l’Afrique du Sud à l’Etat de l’Utah, fait figure de favorite pour la culture du cannabis médical en Afrique du Sud.
En février 2014, on a annoncé que Plandai avait signé un contrat de distribution d’extraits de cannabis avec le producteur de cannabis américain Diego Pellicer. Depuis 2015, cette entreprise cultive du cannabis à usage médical en Uruguay et s’implique dans le programme de recherche de ce pays afin, d’après ses propres termes, de concevoir des extraits de cannabis. Elle envisage de les vendre ultérieurement en tant que médicament à base de cannabis hautement efficace sous le nom de Phytofare.
Au départ, Diego Pellicer souhaitait investir en Uruguay immédiatement après la légalisation de 2013, mais la marque était apparemment trop axée sur le mode de vie pour obtenir un permis de production de cannabis du gouvernement. En conséquence, l’ancien directeur de Microsoft et cofondateur de Pellicer, Jamen Shively, a en 2014 cherché et trouvé un partenaire qui pourrait apporter une expertise en science et un profil d’entreprise de meilleure réputation, soit Plandai Biotechnology.
De 2014 à 2016, Shively a occupé le poste de vice-président de l’entreprise, dont le principal produit était autrefois des extraits de thé vert et dont la biodisponibilité devait être améliorée au moyen de techniques transgéniques. L’entreprise a donc utilisé son thé cultivé localement et sans OGM, car ses composantes étaient censées être plus facilement accessibles lors de la transformation par biosynthèse protéique.
Par le terme « génie génétique », on entend habituellement la biosynthèse protéique. Jusqu’à tout récemment, Plandai Biotechnology était ainsi la seule entreprise menant des recherches sur le cannabis qui possédait une quelconque expertise avec des techniques transgéniques.
Des cannabinoïdes à partir de bactéries
A la mi-septembre 2018, le producteur canadien de cannabis Cronos et l’entreprise de biotechnologie Ginkgo Bioworks ont annoncé un partenariat pour produire des cannabinoïdes synthétiques. Grâce au génie génétique, cette entreprise fondée en 2009 s’est spécialisée dans la production de bactéries à usage industriel. Dans un proche avenir et à l’aide de fonds d’investissement de 122 millions de dollars américains, elle souhaite poursuivre la mise au point de cette technologie pour produire des cannabinoïdes.
Le siège social et le laboratoire de 9 000 m² de Ginkgo Bioworks sont situés à Boston, où l’entreprise produit actuellement des fragrances pour l’industrie des parfums. Grâce à un procédé semblable au brassage de la bière, le code ADN permettant à la rose de sentir la rose est isolé et transféré en une forme simplifiée dans l’ADN de la levure de bière. « Si vous utilisez ensuite ce produit pour le brassage, une huile de rose sera produite au lieu de la bière », explique Jason Kelly, PDG de Ginkgo, dans un entretien avec Bloomberg.
« Il est moins coûteux, il n’est pas tributaire des conditions météorologiques, le prix est stable, et il n’y a aucune différence avec ce qui est obtenu en le cultivant au Maroc ou ailleurs. C’est simplement un bien meilleur produit. L’application de cette technologie dans l’industrie du cannabis est manifeste. C’est le cas par exemple de la liaison dans la tétrahydrocannabivarine ou THCV, laquelle agit comme coupe-faim en luttant contre l’effet de « grignotage » du cannabis. Comme elle n’existe qu’en quantité infime dans la plante, la production du volume requis pour répondre à la demande est difficile et onéreuse. En utilisant la technologie de Ginkgo, de la THCV pure peut être produite en laboratoire », note Mike Gorenstein, PDG de Cronos, au sujet de cette avancée.
Un premier pas vers du cannabis transgénique ?
Le premier pas vers du cannabis transgénique a donc été fait par deux petites entreprises en démarrage des E.-U. issues du secteur des OGM et non pas, comme si souvent anticipé, par un sinistre conglomérat mondial. En dépit de multiples rumeurs, du cannabis transgénique n’existe toujours pas.
Depuis 2017, le nouvel actionnaire principal de Monsanto, Bayer AG, s’intéresse à Ginkgo Bioworks et les deux entreprises ont déjà conclu un accord d’étroite collaboration dans un autre domaine. Puisque Monsanto est le chef de file mondial dans le secteur des OGM, le géant mondial Bayer, basé à Leverkusen, profite aussi d’une mainmise si de plus petits projets visant à produire artificiellement divers cannabinoïdes, comme ceux de Cronos et Ginkgo Bioworks, fonctionnent.
Une entreprise allemande aurait aussi pu conclure une entente de ce genre. Mais lorsque la Dortmund Technical University a présenté un procédé similaire en 2010, personne ne s’y intéressait. Les chercheurs avaient alors réussi à obtenir du THC à partir de colibacilles.
Aujourd’hui encore, en Allemagne, ce sujet ne peut que faire l’objet d’études, tandis que dans d’autres pays, la mise au point de médicaments à base de cannabis est d’ores et déjà un modèle d’entreprise prometteur.