Une étude récemment publiée par le King’s College à Londres a suscité une frénésie médiatique en associant l’usage important de cannabis puissant à des changements structurels du cerveau, particulièrement à une diminution de la quantité de la matière blanche et de son intégrité.
Comme il est souvent le cas avec de telles études, certains médias se sont immédiatement emparés de cette information pour conclure de manière exagérée que puisque le cannabis est responsable de ces modifications structurelles au cerveau, des changements doivent immédiatement être apportés aux règlementations pour remédier au problème. Mais est-ce vraiment le cas ?
Encore une fois dans ces tendances médiatiques, un examen approfondi du contenu de l’étude montre en effet qu’il faut aller au-delà des conclusions simplistes auxquelles aimeraient nous faire arriver ces articles médiatiques.
De quoi traitait l’étude exactement ?
Avant de s’attarder aux différentes lacunes de l’étude, penchons-nous d’abord sur son contenu. Les chercheurs ont rassemblé un échantillon de 99 individus, 56 d’entre eux ayant rapporté avoir déjà vécu une crise psychotique, et ont évalué leur matière cérébrale à l’aide d’un type spécifique d’IRM appelé imagerie du tenseur de diffusion (ITD). Cette technique d’imagerie avancée permet aux chercheurs de mesurer en 3D le taux de diffusion des molécules d’eau à travers les tissus du corps humain, leur offrant la possibilité d’analyser en détail et avec une précision incroyable les tissus et les structures.
Ces examens ont analysé la matière blanche qui est constituée de faisceaux densément compactés d’axones myélinisés (fibres nerveuses) et relie différentes aires de la matière grise où se situent les neurones. En termes simples, les axones transmettent entre les neurones les signaux d’information que ces derniers produisent et reçoivent. L’étude s’est particulièrement penchée sur le corps calleux, le tissu reliant les deux hémisphères du cerveau et représentant la plus volumineuse substance blanche du cerveau.
Qu’a découvert l’étude ?
Une mesure importante fournie par l’examen ITD est la diffusion moyenne (DM) qui permet de déterminer le taux de diffusion des molécules d’eau à travers les tissus ; une DM plus élevée que la moyenne est généralement associée à une densité réduite des faisceaux d’axones ainsi qu’à la détérioration des gaines de myéline qui renferment et isolent chacune des axones et qui permet la transmission rapide des signaux.
En mesurant le corps calleux, les chercheurs ont trouvé que les plus grands consommateurs de cannabis affichaient les plus importants taux de DM lorsque comparés au groupe témoin constitué d’individus ne consommant pas de cannabis. Cette corrélation a été observée à l’échelle entière de l’échantillon, même chez les individus n’ayant jamais vécu de crise psychotique.
Un des chercheurs principaux, Dr Tiago Marques, a déclaré que « la détérioration de la matière blanche était plus importante chez les grands consommateurs de cannabis puissant que chez les consommateurs occasionnels ou ceux qui fument du cannabis moins puissant. De plus, la détérioration observée n’était pas liée à la présence de trouble psychotique ».
Une autre chercheuse principale, Paola Dazzan, a ajouté qu’ « il y a un urgent besoin d’éduquer les professionnels de la santé, le public et les décideurs des risques associés à l’usage du cannabis ».
Quelles sont les lacunes de l’étude ?
Alors qu’est-ce qui cloche avec cette étude ? D’abord, il semble que les médias comme les chercheurs aient commis l’erreur capitale de ne pas faire la distinction entre la corrélation et la causalité. Certes, il existe une association entre l’importance de la consommation de cannabis et les changements structurels observés, mais aucune donnée dans l’étude ne permet d’établir que ces changements soient attribuables au cannabis.
Il pourrait être possible que certains individus étaient déjà porteurs d’anomalies structurelles les prédisposant à une forte consommation de cannabis, et que ce n’était donc pas le cannabis qui ait causé les changements observés.
De plus, la puissance du cannabis avait été établie par les participants eux-mêmes et se résumait simplement à deux catégories – faible puissance (type hasch) et forte puissance (type skunk) – sans aucun égard aux taux ni aux ratios de cannabinoïdes, rendant la caractérisation quelque peu inutile. L’étude a aussi omis de déterminer la quantité de cannabis consommée par chaque participant, le nombre d’années de consommation et le fait que d’autres substances auraient aussi pu être consommées.
Certains ont aussi critiqué la taille réduite de l’échantillon et la difficulté d’en extrapoler des résultats significatifs. Toutefois, il ne s’agit pas d’un échantillon extrêmement petit pour une étude préclinique comme celle-ci. Chose certaine, les conclusions auxquelles sont fermement arrivés les médias sont tirées de données non concluantes (et les chercheurs auraient dû s’astreindre de faire de telles déclarations trompeuses). De par sa nature, cette étude devrait être étayée de plus de recherches connexes.
Quel genre d’étude établirait un lien réel ?
L’étude en question a été effectuée de manière transversale, c’est-à-dire qu’elle a suivi différents groupes d’échantillons, à un moment donné, pour comparer certaines variables afin d’identifier des associations possibles. Étant donnée leur nature, les études transversales ne peuvent déterminer les relations de cause à effet, puisqu’elles ne sont pas conçues pour dégager des tendances à long terme. Dans le cas qui nous intéresse, les chercheurs ne peuvent affirmer que le cannabis est responsable des changements observés, malgré leur désir d’établir un tel lien, puisqu’ils ne savaient pas si les participants étaient affectés de ces changements cérébraux avant même de participer à l’étude.
Les études transversales sont également intrinsèquement limitées puisqu’elles comparent directement un ensemble restreint de variables duquel les chercheurs tirent des conclusions, ne tenant pas en compte des facteurs de confusion. Dans l’étude en question, les changements observés auraient pu être causés par des facteurs complètement indépendants de l’usage de cannabis – la consommation d’alcool ou le tabagisme par exemple – possibilité complètement ignorée par les chercheurs.
Afin de prouver que l’usage de cannabis cause effectivement des changements structurels au cerveau, il est théoriquement possible de conduire un essai clinique aléatoire dans le cadre duquel le cannabis est administré à des sujets n’en ayant jamais consommé, et les changements sont enregistrés.
Cependant, pour des raisons éthiques et légales, cette méthodologie ne peut s’appliquer : si l’usage du cannabis causait effectivement des dommages cérébraux, les sujets préalablement en santé seraient pour le moins furieux des résultats, et ils s’empresseraient sûrement d’intenter des poursuites juridiques ! Bien sûr, au Royaume-Uni où a été conduite l’étude, la consommation de cannabis demeure largement illégale, les rares cas approuvés devant se soumettre à des conditions strictes, ce qui empêche évidemment la possibilité de conduire une telle sorte d’étude. Les chercheurs pourraient étudier les effets du cannabis sur des animaux, mais les résultats ne pourraient apporter des données applicables aux humains.
Ces facteurs expliquent pourquoi les chercheurs ont dû se contenter de travailler avec des individus qui consommaient volontairement du cannabis et qui consentaient à participer à l’étude. Pour établir une relation de cause à effet, il faut plutôt faire une étude de cohortes longitudinales qui implique de suivre le même groupe d’individus sur une période donnée, de considérer tout changement dans les habitudes de consommation (ainsi que des facteurs de mode de vie) et de comparer ces données aux changements physiques observés.
Une poignée d’études longitudinales ont été effectuées pour comprendre le lien entre le cannabis et la santé mentale, mais apparemment aucune ne s’est jusqu’à présent penchée sur les effets du cannabis sur la matière blanche (à l’exception d’une seule qui s’est concentrée sur des adolescents consommant du cannabis et de l’alcool et qui a conclu qu’il était fort probable que l’alcool était responsable de la dégradation de la matière blanche).
Survol de la couverture médiatique…
Il est intéressant de noter que le communiqué de presse publié sur le site Web du King’s College à l’origine formulé ainsi « Une étude montre que le cannabis de “type skunk” cause une détérioration de la matière blanche » a été modifié comme suit : « Une étude montre que le cannabis de “type skunk” pourrait causer une détérioration de la matière blanche » (soulignement ajouté).
Bien sûr, comme c’est souvent le cas avec de telles études, les organes de presse plus modérés (The Guardian, The Independent) ont pris la peine de formuler leur titre au conditionnel, alors que les journaux plus sensationnels (The Telegraph) se sont assurés de garder la formulation affirmative.
Quant à elle, la presse à scandale d’extrême droite y a été sans retenue, The Sun proclamant que « Les scientifiques nous préviennent que fumer du cannabis ‘skunk’ détruit le cerveau », et The Mail scandant que « De fortes preuves montrent que le cannabis EST dangereux pour le cerveau ». Ces énormes distorsions des faits ont poussé le Service national de santé du Royaume-Uni à publier un article afin de dénoncer les interprétations de ces sources sensationnalistes.
L’étude, malgré ses failles et la façon fallacieuse dont certains médias ont sauté aux conclusions, indique néanmoins la possibilité du rôle du cannabis dans les changements observés, et pour cette raison, les résultats ne devraient pas être rejetés. En ce faisant, on tomberait dans le même piège qu’en assumant que la question est réglée, alors qu’on ne fait que commencer à y répondre.
- Disclaimer:Cet article ne remplace aucun conseil, diagnostic ou traitement d’un professionnel médical. Consultez toujours votre médecin ou tout autre professionnel de la santé habilité. Ne tardez pas à obtenir des conseils médicaux et n’ignorez aucune recommandation médicale après avoir lu tout contenu de ce site web.
Bonjour, il me semble que le cannabis est victime d’une « chasse aux sorcières » à coup d’ études dites scientifiques, donc quasi divines, car basées sur la technologie: la preuve par neuf. Avec tout le respect qu’impose une vie dédiée à la recherche, je me demande quand même si parfois on ne frise pas la propagande assénée par des scientifiques influencés…? Comment tirer des conclusions sur les effets d’une substance précise sans distinguer corrélation et causalité dans les conclusions! C’est comme écrire « consommer avec modération » à propos d’une substance qui a largement prouvé sa nocivité pour tout(!) l’ organisme. Ah les messages subliminaux de nos élites bien-pensantes.. « Ne pas consommer » est le message de prévention qui sied à la réalité de l’alcool. Je considère que l’alcool est l’antagoniste du chanvre et , tout excès étant préjudiciable, je suis convaincu des vertus aphrodisiaques de cette plante et finalement ça dérange tous les alcoolos (un verre suffit) mous du genou (et pas que…)! En tout cas merci pour les articles qui apportent un décryptage nuancé et objectif, qualité qui manque aux dépositaires de la bonne parole. Amen!