Qu’est-ce que la déficience endocannabinoïde clinique ?

Femme afro-américaine assise sur un banc et un système endocannabinoïde animé

La déficience endocannabinoïde clinique (DECC) serait un trouble associé à un spectre de maladies tels la fibromyalgie, les migraines et le syndrome du côlon irritable. A date, peu d’études ont été faites sur ce trouble hypothétique, mais si son existence est avérée, il expliquerait des conditions communes et d’autres qui en découlent.

La déficience endocannabinoïde clinique (DECC) est un terme qu’a forgé en 2014 le Dr Ethan Russo. Jusqu’à ce que les recherches s’approfondissent, la condition demeure au stade de la théorie, bien que son assise soit solide. Ethan Russo appuie sa théorie sur l’idée qu’il existe une gamme de troubles cérébraux qui sont le résultat d’une déficience de neurotransmetteurs, et que bien d’autres conditions peuvent être déclenchées de la même manière par une déficience en endocannabinoïdes.

De même, Russo montre l’abondance de preuves suggérant qu’une déficience endocannabinoïde soit liée aux migraines, à la fibromyalgie et au syndrome du côlon irritable. Dans cet article, nous explorons la corrélation complexe entre la déficience endocannabinoïde et certaines de ces pathologies répandues. La notion qu’une déficience cannabinoïde est possiblement à la source de toutes ces maladies est complexe, et encore beaucoup de travaux de recherche doivent être faits dans ce domaine.

Femme avec migraine

Migraines, sérotonine et plaquettes de plasma sanguin

Les migraines font partie des trois conditions affichant des indicateurs cliniques et biochimiques communs qui pourraient révéler une DECC. Il a été suggéré que les migraines sont influencées par la fonction endocannabinoïde, puisque les aires supposément associées à la génération de migraines sont aussi affectées par l’activité des cannabinoïdes. De plus, on croit que l’endocannabinoïde anandamide qui joue un rôle dans la modulation de la douleur et la transmission de la sérotonine affecterait positivement les personnes qui souffrent de cette condition.

La biochimie des migraines est complexe et mal comprise, mais on sait que durant des crises, de hauts niveaux de sérotonine sont détectés. Il a été prouvé que le THC et son ligand endogène, l’anandamide, inhibent la sérotonine en grandes doses (bien que de faibles doses puissent accroître sa production), particulièrement dans les plaquettes du plasma sanguin. C’est dans les plaquettes que l’on retrouve les plus grandes réserves de sérotonine, mais ce neurotransmetteur est aussi présent dans le système nerveux entérique et le cerveau. On croit que c’est lorsque les plaquettes libèrent la sérotonine que les migraines sont déclenchées et d’ailleurs, les migraines seraient à la base une maladie sanguine.

Les effets du THC sur la libération de la sérotonine et le soulagement subséquent de la migraine suggèrent qu’une déficience cannabinoïde pourrait être la source du problème. Selon la recherche présentée, une déficience en anandamide pourrait mener à de plus hauts niveaux de sérotonine, ce qui cause la migraine. Une concentration adéquate d’anandamide dans le sang et le cerveau pourrait empêcher la libération de sérotonine, ce qui aurait pour effet de soulager les symptômes de la migraine.

Fibromyalgie et carence en sérotonine

La fibromyalgie est un syndrome considéré être de nature neuropsychiatrique pour lequel la médecine moderne n’a pas beaucoup d’options de traitement. Un sondage effectué en 2014 par le National Pain Report a révélé que plus de 30 % des personnes souffrant de fibromyalgie utilisaient le cannabis médical comme traitement (automédication ou sur ordonnance). D’entre eux, 62 % rapportaient une nette amélioration après le traitement.

Femme avec des points de fibromyalgie marqués

Une autre étude documentant les effets du nabilone sur la fibromyalgie a constaté une amélioration significative des symptômes après que les sujets aient pris le cannabinoïde. Une autre étude a démontré que le cannabis, pris à l’oral ou fumé, améliorait la qualité de vie des personnes souffrant de fibromyalgie.

L’étude la plus récente sur le sujet a été faite en 2018. Vingt-six patients ont été suivis et traités au cannabis médical pendant 10 à 12 mois. Les chercheurs ont rapporté une amélioration significative dans toutes les sections du sondage et ont même trouvé que 50 % des sujets avaient arrêté de prendre tout autre médicament pour traiter leurs symptômes.           

On sait aussi que la fibromyalgie affecte les niveaux de sérotonine dans les plaquettes, bien que l’on pense que ce soit une carence en sérotonine, et non une surabondance, qui soit responsable de la douleur aigüe ressentie par les patients. Cette disparité n’est pas complètement comprise, et surprend quelque peu étant donné la forte comorbidité entre les maladies.

Dans une étude, jusqu’à 63 % des personnes souffrant principalement de la fibromyalgie ont aussi rapporté des symptômes de migraines, et dans une autre, 22 % des personnes souffrant principalement de migraines étaient aussi affectées de la fibromyalgie. Le sexe des patients explique partiellement cette disparité, puisqu’aucun homme souffrant de migraines n’a rapporté de symptômes de fibromyalgie, et cette maladie affecte beaucoup plus les femmes que les hommes (90 % des personnes affectées).

SCI ; lien entre le cerveau et l’intestin

Le syndrome du côlon irritable (SCI) est une condition gastro-entérique commune qui cause des ballonnements, des crampes abdominales et des diarrhées. On a longtemps pensé que le SCI était lié à un dysfonctionnement neuropsychiatrique, puisque ce syndrome s’accompagne souvent de troubles psychiatriques tels l’anxiété, la dépression et le SSPT. Des symptômes aigus surviennent souvent lors d’épisodes de détresse mentale. Cependant, comme les endocannabinoïdes sont exprimés dans le système nerveux entérique (SNE) ainsi que dans les aires cérébrales affectées par de tels troubles psychiatriques, il est possible que leurs effets soient indépendants.

Illustration de causes postulées de SCI

La sérotonine joue aussi un rôle important dans le SCI en affectant la motilité intestinale (l’action péristaltique dans le côlon qui devient « spastique » ou incontrôlée durant des crises de SCI), la réactivité et la sécrétion de fluides. Il est intéressant de noter que les personnes atteintes du SCI-D (diarrhées) affichent des taux de sérotonine sanguine élevés, alors que les personnes affectées du SCI-C (constipation) affichent des taux réduits de sérotonine sanguine.

L’effet de la sérotonine chez les personnes souffrant du SCI suggère une corrélation avec une déficience endocannabinoïde, compte tenu du fait que l’ingestion de cannabinoïdes affecte les niveaux sanguins de sérotonine. Cela étant dit, il est très difficile de trouver l’origine exacte, puisque certains cas présentent des niveaux déficients de sérotonine alors que d’autres, des niveaux excessifs.

Récepteurs cannabinoïdes au sein du système nerveux entérique

Il a été démontré que l’activation des récepteurs cannabinoïdes du système nerveux entérique diminue l’hypersensibilité intestinale ainsi que la motilité et l’inflammation intestinales. Plusieurs personnes affectées par le SCI utilisent le cannabis afin de soulager leurs symptômes, bien que d’autres rapportent une aggravation de leur condition après avoir commencé à consommer ; certains posent même le postulat que ce serait le cannabis qui déclencherait le SCI chez certaines personnes.

La manifestation simultanée de ces conditions a mené à l’hypothèse qu’elles sont toutes causées par un même trouble somatique. Plusieurs personnes affectées du SCI rapportent aussi des symptômes de migraines, et jusqu’à 70% des personnes affectées de la fibromyalgie présentent aussi des symptômes du SCI. Plusieurs sont affectés des trois troubles, bien que ce ne soit pas strictement nécessaire pour expliquer la présence d’une condition sous-jacente commune, comme une DECC, puisque plusieurs troubles du spectre sont accompagnés de symptômes qui peuvent varier grandement d’un patient à l’autre, et d’autres troubles connexes peuvent se manifester.

Trouble sous-jacent responsable ?

Il y a quelques années, on a posé l’idée qu’un système endocannabinoïde défectueux pourrait être la cause de ce trouble somatique hypothétique. En 2004, une condition appelée DECC a été proposée. Les chercheurs ont posé comme hypothèse que la grande comorbidité accompagnée des symptômes qui marquent typiquement un dérangement de l’activité des récepteurs cannabinoïdes suggéraient la présence d’un trouble sous-jacent du système endocannabinoïde.

Plusieurs conditions connues s’expliquent par la déficience d’un système de neurotransmetteurs spécifique ; l’Alzheimer est causée par un déficit des neurotransmetteurs acétylcholines, le Parkinson, par une carence en dopamine liée à l’âge. Il est ainsi logique de supposer qu’une déficience des neurotransmetteurs cannabinoïdes causerait aussi un trouble spécifique, ou une gamme de troubles liés.

Le lien avec le système de signalisation de la sérotonine ne peut être ignoré lorsqu’on tente de déterminer l’existence d’une DECC. Les études comportementales ont suggéré que les effets de la signalisation des endocannabinoïdes sont dus à la régulation du système de la sérotonine. Par exemple, il a été démontré que le THC inhibe la sécrétion de la sérotonine contenue dans les plaquettes chez les personnes souffrant de migraines, de même qu’il augmente la synthèse de sérotonine dans le cerveau. Le 2-AG et le cannabidiol auraient aussi des effets similaires. Cependant, on pense que les effets indépendants des cannabinoïdes sur les récepteurs cannabinoïdes seraient la cause de la DECC, malgré le possible lien fondamental avec le système de signalisation de la sérotonine.

Si l’existence de la DECC est prouvée, on pourrait commencer à étudier de possibles traitements ciblés qui permettraient de déterminer la nature exacte de la déficience et ainsi, le ratio et la dose de cannabinoïdes exogènes à prendre. A l’heure actuelle, les patients se traitent en ingérant du cannabis cru, ou en le fumant, mais les différentes variétés contiennent parfois des ratios de cannabinoïdes extrêmement différents. Comme l’effet de plusieurs cannabinoïdes dépend de la dose, certaines variétés pourraient être inefficaces pour soulager les symptômes.

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    Sanjai Sinha

    Dr Sanjai Sinha est membre du corps enseignant du Centre médical Weill Cornell de New York où il reçoit des patients, enseigne aux médecins résidents et aux étudiants en médecine et fait de la recherche en services de santé. Il prend soin d’éduquer ses patients et pratique la médecine fondée sur les preuves. Son grand intérêt pour l’examen médical est nourri de ces passions.
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